Afrikarabia, ou le récit occidental des faillites du Congo

Par Jessica Mwiza

Le média suivi tant par de simples citoyens que par des chercheurs et journalistes, exonère sans cesse les officiels de la RDC ainsi que les principaux bénéficiaires des richesses spoliées de son sous-sol.

Les préoccupations d’Afrikarabia et de son fondateur et principal contributeur Christophe Rigaud ont toujours été centrées autour de la promotion des éléments de langage de Kinshasa. C’est en effet ce qui permet au média de se maintenir dans un État qui ne tolère aucune contradiction face à son narratif officiel, un narratif empli de manipulations s’appuyant sur l’instrumentalisations des haines ethniques.

L’histoire est peu ou prou la même depuis les années 60, qui ont été le théâtre de violentes repressions anti-rwandophones au Kivu, terre ancestrale de mixité. Malgré le hashtag favori de l’actuel ministre de la communication de la RDC Patrick Muyaya, “#changementdenarratif”, cette façon de présenter au monde un Congo acculé par son petit voisin Rwanda dépeint par les racialistes du 19ème siècle comme le territoire “juif expansionnistes de l’Afrique” – tout en occultant sa propre gouvernance désastreuse – n’est pas nouvelle.

Plusieurs éléments peuvent alerter les lecteurs, qui restent nombreux à tenter de se faire une idée à peu près neutre des enjeux en cours en République démocratique du Congo, incités par les campagnes sensationnelles mais mal placées sur un génocide en cours (Genocost).

Dans son récent article “RDC 3 ans d’errance militaire et diplomatique contre le M23”, Rigaud fait remonter toute problématique sécuritaire existante à une agression du M23 face à laquelle Kinshasa ne ferait que se défendre en cherchant “désespérément” des stratégies.

Tandis que la réalité est tout autre.

Le M23 est un groupe de défense des populations visées par une épuration ethnique justifiée par l’idéologie coloniale (d’une opposition entre vrais “Bantus” et populations étrangères “Nilotiques”) que le Congo officiel n’a de cesse d’adopter et de décupler – présidence après présidence – afin de se maintenir au pouvoir.

De plus, les entités les plus criminelles au Congo restent les agents de l’État dans lesquels se confondent Wazalendo et FLDR, sans compter les CODECO, maï-maï et autres groupes qui ne provoquent que peu d’émoi chez ces “spécialistes”.

Par ailleurs, en indiquant que les FDLR sont une menace “pour Kigali”, Rigaud insinue ainsi qu’ils ne le sont pour personne d’autre. Il renforce donc la fausse idée d’une agression rwandaise actuelle qui serait justifiée par l’instrumentalisation d’une présence de ces génocidaires dans leur formation ré-organisée au Congo. Alors qu’Afrikarabia et ses réseaux politiques et académiques, notamment le chercheur Christoph N. Vogel, tentent de dépeindre les FDLR comme une force n’étant plus que “l’ombre d’elle même”, ces derniers contrôlent des localités et des pans entiers des économies locales au Kivu et terrorisent les populations situées dans des camps.

Enfin, il ment de façon éhontée sur la façon dont s’est terminé le précédent conflit entre le M23 et Kinshasa dix ans auparavant, en indiquant que les tentatives de négociations n’auraient pas eu lieu et que le mouvement aurait ressurgi sans raisons. La réalité est tout autre et nul ne peut l’ignorer. Kinshasa a saboté ces négociations de paix – qui avaient bien eu lieu, devant témoins internationaux – en lançant des attaques contre les bases du M23 à la fin des 14 mois de négociations. La RDC avait tout simplement décidé de refuser de mettre en oeuvre ses engagements, piétinant ainsi toute possibilité de résoudre un conflit légitime.

Les manoeuvres de Rigaud sont assez peu subtiles et démontrent de la facilité avec laquelle un public non-averti et non-expert peut accepter n’importe quel récit mensonger – sans conséquences pour le statut et la réputation de ses journalistes – pourvu qu’il valide les accusations complotistes contre le Rwanda (qui n’a toujours rien à voir avec ce conflit congolais malgré la répétition des affirmations dans le temps, de la part d’acteurs qui ne se donnent pas la peine d’aller enquêter sur le terrain) et le M23.

Approximations (finement pensées) après approximations, mensonges après mensonges, Christophe Rigaud continue d’être considéré comme un expert et est régulièrement invité à parler en tant que tel par un petit microcosme politique et médiatique en charge de caresser Kinshasa dans le sens du poil et de vendre leur narratif à l’extérieur de ses frontières.

Il est ainsi frappant de constater que les atteintes aux droits humains, nombreuses et sur-documentées, des officiels congolais ne provoquent pas le tiers de l’agitation que les fantasmes rwandophobes provoquent. C’est comme si l’état chaotiques du géant Congo – en plus de permettre aux firmes anglo-saxonnes, suisses, chinoises et autres de maintenir leurs profits faramineux – rassurait l’occident sur une certaine image de l’Afrique qu’ils chérissent : indigente, incompétente et en constante demande d’aide.

Ainsi, Jason Stearns dont nous avons démasqué la réthorique plus militante que scientifique dans un objectif de brouillage des cartes global de la situation politique et sécuritaire de la RDC, est encore cité en expert, extraits à l’appui. Ses postulats sont également utilisés à d’autres endroits, de façon plus pernicieuse encore ; sans mention de son nom. Ses idées très personnelles y sont convoquées sous couvert de transcription de ce que de “nombreux observateurs” penseraient. Cependant, seul Stearns pense et clame par exemple que le retour du M23 est dû à une colère de Kigali de voir son “frère ennemi” engagé au Congo contre les AFD.

Il semble donc que le petit vase clos d’experts blancs au Congo organise la validation de leurs présupposés douteux et non validés empiriquement par la reprise de ces mêmes hypothèses sur leurs nombreuses plateformes, leur conférant un caractère de vérité. Il s’agit d’un exemple parfait de l’épistémologie raciste du surplomb.

Ayant a coeur de protéger son intégrité journalistique – si il en reste une trace – Christophe Rigaud tente en conclusion la timide balance suivante : “Un bémol à cette analyse. Durant les 10 ans de sommeil du M23, les autorités congolaises n’en ont malheureusement pas profité pour améliorer la gouvernance du pays.”. Dans le cas où ce dernier retirerait ses œillères idéologiques, il pourrait presque découvrir les revendications en faveur de la paix et de la cessation de la confiscation des richesses naturelles devant appartenir au peuple congolais ; des revendications frappantes de constances depuis dix ans, de la part du M23.

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